La littérature russe

Au début du XIXe siècle, le romantisme voit l'éclosion d'une génération talentueuse avec Vasili Joukovski mais surtout Alexandre Pouchkine et Mikhaïl Lermontov. La littérature russe du roman brille avec Dostoïevski, Gogol, Goncharov, Leskov, Saltykov-Chtchédrine, Tolstoï et Tourguéniev.

La mise en place de l'URSS et de son régime socialiste a introduit comme thème dominant le socialisme réel dans la littérature nationale. La doctrine littéraire était simple, il s'agissait d'utiliser le talent des écrivains pour vanter les mérites et les réussites du régime. Chargée d'organiser la vie littéraire et de décider des thèmes à développer, l'Union des Ecrivains relevait directement du commissaire politique. Les écrivains réfractaires étaient contraints à l'exil, à la prison, au camp ou même exécutés comme Nikolaï Goumiliev ou Ossip Mandelstam. Le poète futuriste Vladimir Maïakovski et Marina Tsvétaéva ont choisi le suicide.

Malgré la politique littéraire officielle, certains auteurs comme Mikhaïl Boulgakov, Boris Pasternak, Andreï Platonov, Ossip Mandelstam, Isaak Babel ou Vassili Grossman ont continué leur travail de romancier de manière clandestine, en espérant être publiés de manière posthume ou à travers le régime des samizdat, publications artisanales clandestines. Les contes traditionnels russes, avec leur mélange de cruauté et d’humour, de sagesse et de folie, ont constitué une source importante de création artistique et intellectuelle, notamment pour l'opéra.

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Histoire de la littérature russe

Des origines à la fin du XVIIIe siècle

I. Origines de la littérature russe

La littérature russe est à la fois ancienne et récente selon que l’on considère la littérature dans son acception large (tout usage du langage, pas uniquement écrit) ou dans un sens plus limité (œuvre écrite dans la mesure où elle porte la marque de préoccupations esthétiques). Ainsi, jusqu’au XVIIIème siècle, deux formes d’activité littéraire vont se développer.

1 -La littérature orale

La littérature russe s’est construite, à l’origine, sur une tradition orale d’inspiration populaire appartenant plutôt au folklore. Parmi ces récits, il convient de différencier les comtes qui ne furent pas spécifiques à la Russie mais plus une résurgences indo-européenne commune à une grande partie de l’Europe (on retrouvera ici les récits du Petit Poucet, du Chat botté,…) et les bylines. Petites compositions épiques en vers vantant les exploits de personnages biens souvent fabuleux ou historiques. Il convient ainsi distinguer les bylines légendaires appartenant au cycle de Kiev (centrés sur la vie de Vladimir et des chevaliers luttant contre les Mongols dont Ilya de Mourom, paysan paralysé guéri miraculeusement à l’age de 33 ans et défendant alors la Russie kiévienne, ou encore Aliocha Popovictch, l’astucieux fils de pope) ou au cycle de Novgorod (dont les thèmes exprimeront les volontés d’émancipation de cette cité marchande au travers ses personnages tel le marchand Sadko ou le libre aventurier Bouslaïev) des bylines historiques du cycle de Moscou qui évoquent quant à elles les vies d’Ivan IV ou encore de Pierre le Grand.

2 - Les premiers écrits (XIème - XIIIème siècle)

Les premiers écrits sont liés à une double assimilation, à savoir l’adoption du slavon et l’adoption par l’Etat russe de l’orthodoxie byzantine.

Codifié deux siècles plus tôt pour faciliter l'évangélisation des populations slaves par deux missionnaires (Cyrille et Méthode), l'alphabet dit cyrillique a été construit à partir d’un dialecte bulgare qui, bien qu’éloigné de l’oral, était alors compréhensible par la majorité des Slaves. Ce dialecte vieux-bulgare devint le slavon. Cette langue liturgique qui finit par servir à des usages profanes (rédaction de chroniques notamment), fut progressivement altéré par le langage parlé, l’intégration de se langage plus vivant donnant naissance au vieux-russe. Le russe moderne a fini par se fixer définitivement par équilibrage de ses composantes russes et slavonnes.

Elaborés dans la perspective d’évangéliser les peuplades slaves, les écrits en slavon se multiplièrent suite au rapprochement avec Byzance. Les premiers écrits sont donc avant tout des traductions d’ouvrages religieux (liturgies, sermons, vies des saints,…) rendus plus accessibles par l’utilisation du slavon. Une production écrite plus historique (rédaction de nombreuses chroniques) et liturgique qu’à proprement littéraire. A cette époque, rares seront les écrits originaux, hormis Le sermon sur la loi et la grâce (1050) par l’orateur Hilarion qui célèbre en la figure de Vladimir le saint qui a fait sortir la Russie du paganisme, le Récit des temps anciens (appelé encore la chronique de Nestor ou Première chronique), qui relate l’histoire des peuples slaves jusqu’au début du XIIième siècle ou encore Le Dit d’Igor, écrit appelant à l’unité des peuples slaves. Premier récit poétique, sa date d’écriture reste néanmoins très controversée.

3 - Un développement limité (XIIIème - XVIIIème siècle)

Mais la période des apanages qui vit le pays secoué par de nombreuses luttes intestines et ravagé par l’occupation Mongole (du XIIIième au XVième siècle), limita le développement de la littérature russe (1ère imprimerie à Moscou en 1563, soit un siècle plus tard qu’en Europe). La littérature d’alors relata essentiellement les méfaits de l’occupation mongole (souvent interprétée comme le châtiment divin infligé aux russes pour leurs péchés). Cette valeur documentaire des livres s’exprime pleinement dans le récit Voyage par-delà les trois mers d’Athanase Nikitine, un marchand de Tver relatant son voyage jusqu’en Inde ; récit qui témoigne par ailleurs du développement d’une importante littérature de voyage à cette même époque. Plus original, le Domostroï (L’organisation de la maison) écrit vers 1500, décrit les règles qu’il convient de suivre pour mettre de l’ordre dans sa maison ; ouvrage qui offre une description des us et coutumes de l’époque.

A cette période de régression succède une période d’isolement, la Russie se voyant privée de ses racines byzantine suite à l’occupation par les Turcs de l’empire Byzantin (2nd moitié du XVième siècle). Moins perméable à une culture européenne chrétienne aux bases latines, la Russie s’isola des grands mouvements de la pensée (la Renaissance puis la Réforme) qui allèrent marquer l’Occident. Quelques écrits rendront compte des incertitudes culturelles et religieuses que traversera alors une Russie en plein changement (affirmation de l’autocratie, réforme de l’Eglise,…). Ainsi, La Vie d’Avvakoum par lui-même témoigne de l’opposition de son auteur aux réformes introduites par Nikon, et la Description de la Russie sous le règne d’Alexis Mikhaïlovitch de Kotochikhine, satyre sur la société russe du XVIIième siècle. Ces écrits, dont la valeur littéraire reste pauvre, laissent de plus en plus place à une langue populaire au détriment du slavon russe livresque.

II - La littérature russe à l’école de l’Europe (XVIIIème siècle)

Les réformes voulues par Pierre le Grand au début du XIIIème siècle favorisèrent le développement de la littérature russe. En effet, le souci d’instruction et de développement des sciences impliqua, la traduction et la publication de nombreux ouvrages occidentaux amenant la littérature laïque à supplanter la littérature d’église. Elément significatif témoignant du développement de l’écrit, la publication du premier journal intervient en 1703.

1 - De la copie…

Mais cette ouverture vers l’Europe permit surtout à la littérature russe de s’ouvrir tant aux idées des lumières qu’aux thèmes et genres classiques. Débute alors une phase d’assimilation à l école de l’Europe portée par des auteurs qui n’avaient bien souvent de russe que la langue : ayant pour une grande majorité étudiés en Europe, il se contentèrent bien souvent de traduire ou transposer sans art les écrits de l’Ouest. Des auteurs comme Antioch Cantemir, Vasily Trediakovski, et Mikhaïl Lomonossov au début du XVIIIe siècle forment la première vague littéraire russe. En poésie Derjavine, en prose Karamzine et Radichtchev, au théâtre Soumarokov et Fonvizine défrichent des genres littéraires pour l'instant inexistants.

Ainsi, Cantémir (1708-1744), Moldave fervent défenseur des réformes (ses Satires lui valurent de nombreuses inimitiés), est avant tout le premier à avoir importé en Russie les écrits d’auteurs classiques (Boileau, Horace,…) en usant d’une langue brassant slavon, termes étrangers et expressions populaires. De même, Soumarokov (1718-1777) traduisit plus qu’il n’écrivit des récits et comédies reprenant les classiques de Voltaire et de Molière.

Parallèlement à ces adaptations formelles, la langue elle-même subit de profondes transformations : une nouvelle langue profane fut progressivement élaborée, distincte du slavon. Ainsi, s’éloignant de la copie simple, Trediakovski (1703-1769), poète attitré de la tsarine Anna, fut l’un des premiers à initier une réflexion, dans son œuvre de qualité somme toute très variable, sur la langue russe qu’il juge soit trop vulgaire, soit trop savante, soit trop germanisée ; langue que les travaux de Lomonossov (1711-1765) contribuèrent à faire évoluer en en harmonisant et en en fixant les règles. Plus que ses écrits (ode pour l’anniversaire de l’avènement d’Elisabeth Petrovna, Méditation à l’occasion d’une aurore boréale), on doit à cet érudit qui étudia la philosophie, la physique, les mathématiques et la chimie (il est considéré par certain comme l’un des précurseurs de la science de l’atome), la première grammaire de la langue russe.

2 - … à l’affirmation des idées et des genres

Si Pierre insuffla le développement de la pensée occidentale en Russie, on doit à Catherine II qui permit et plaida pour leur diffusion, l’avènement de cette pensée dans la littérature russe. Tsarine cultivée, favorable aux idées des lumières, elle témoigna d’un intérêt particulièrement marqué pour le monde des lettres. Ainsi, elle invita Voltaire, publia une revue (Choses et autres) et rédigea des comédies gentiment satiriques qui fustigeaient les nobles ignorants. Insufflée d’en haut, cette liberté d’expression connut rapidement ses limites dans par ses menaces trop directes qu’elle représentait. Face à ces écrits subversifs et suite à la Révolution française, la tsarine musela alors la littérature russe.
Propriétaire fortuné, plus éditeur qu’auteur, Novikov (1744-1818) fut ainsi emprisonné 4 année pour avoir diffusé, via la Compagnie de Typographie qu’il avait créé, plus de mille ouvrages favorables aux lumières. C’est le même sort qui attend Radichtchev (1749-1802) premier écrivain révolutionnaire russe suite à la publication de son Voyage de Petersbourg à Moscou, peinture féroce de la vie dans la Russie des campagnes.

Moins polémiques, Fonvizine (1745-1792) et Derjavine (1747-1816) témoignent, par leurs écrits, de l’effort d’assimilation et de maîtrise réalisé par la littérature russe. S’amusant, à travers ses personnages authentiquement russes au parlé populaire, des tares et mœurs de la bourgeoisie, les comédies de Fonvizine (le brigadier, le blanc-bec gentilhomme), dont la qualité à proprement artistique reste limitée, valent à son auteur d’être considéré comme le premier véritable auteur de comédies de la littérature russe. Par sa maîtrise du rythme des vers et de leur sonorité plus que par l’originalité de sa pensée ou son style, Derjavine (Ode sur la mort du prince Mechtcherski, Grand Seigneur, Ode à Félitza) peut quant à lui être considéré comme le premier poète de la littérature russe.

A l’aube du XIXème siècle, la littérature russe, ayant assimilé en élève studieuse de l’Europe les genres et les styles littéraires, s’est dotée d’une langue authentiquement nationale capable de transcrire ses pensées et ses souffrances qui s’exprimeront alors dans le romantisme et le sentimentalisme naissant.

Age d’or de la poésie (1800-1850)

Si les écrits de Pouchkine et de Lermontov marquent l’avènement de la littérature russe après une longue période d’apprentissage, leurs œuvres ont surtout contribué à faire de cette première partie du XIXème siècle l’âge d’or de la poésie en vers. Celle-ci sera marquée, comme l’ensemble de la littérature russe, par les évolutions des genres littéraires. Ainsi, comme partout en Europe, la littérature russe voit, en ce début de XIXème siècle, le sentimentalisme supplanter la raison avec des écrits faisant la part belle aux émotions et à de nouveaux thèmes : aux longs discours succèdent la beauté de la nature, la pureté morale, l’existence saine de l’homme du peuple. Succédant au sentimentalisme, ce début de siècle voit aussi poindre le romantisme. Cependant, ce courant marqua relativement peu la littérature russe qui vint rapidement butter sur le réalisme.

I - L’âge d’or de la poésie : Pouchkine

Les genres littéraires évoluèrent durant le XIXème siècle. Ainsi, si le roman, la nouvelle et le théâtre en prose devinrent peu à peu les genres littéraires favoris des écrivains à partir des années 30, la poésie domina la littérature russe de la première partie de ce XIXème siècle sous les plumes notamment de Pouchkine et de Lermontov (voir plus loin).

Classer Pouchkine dans les poète est forcement réducteur, tant cet auteur toucha avec génie à tous les genres. Mais la prose fut pour lui secondaire. Vers la fin de sa jeune existence, alors que la prose remplaçait les vers dans ses écrits et le réalisme supplantant le romantisme, il dira : « la poésie a tari ses sources pour moi, me voici enfoncé tout entier dans la prose. » Pouchkine incarne encore aujourd’hui la grâce, la perfection artistique poussée jusqu’au génie. La limpidité des vers, la justesse de son expression le font considérer par beaucoup comme le meilleur poète de la littérature russe, voire comme le premier véritable auteur de la littérature russe.

Les contemporains de Pouchkine furent nombreux à profiter du succès de ses vers : les années 1825-1835 verront une multitudes d’artistes qui, sans égaler le maître, donneront de jolis vers. Parmi ceux-ci, ceux de Koltsov (1808-1842), se distingueront par leurs sujets simples de la vie pastorale, vantant la beauté de la fleur qui pousse. Pour ne pas avoir été formatée par les genres et styles européens, sa poésie est proche de la poésie du peuple, de ses sonorités.

II - L’évolution des genres : l’impact du réalisme

1 - Le sentimentalisme

Si Derjavine (1747-1816) avait laissé poindre dans ses vers quelques accents émus, c’est Joukovski (1783-1852) qui encra le sentimentalisme dans la poésie dans un écrit délaissant définitivement le slavon. Si ses œuvres sont souvent des traductions très personnelles d’auteurs occidentaux ou percent l’irrationalité fantastique loin des réalités concrètes de leur traducteur, elles ont, portées par le succès de leur sentimentalisme, contribuées au développement de la littérature par l’abandon du slavon et la création de nouveaux rythmes. Batiouchkov (1787-1855), qui sombra rapidement dans le folie, offrit à la littérature russe quelques jolies vers suaves proches des sonorités italiennes. On doit à Karamzine (1766-1826) d’avoir le premier fait basculer la prose dans le sentimentalisme, son ouvrage Lettres d’un voyageur Russe, servi par une écriture simple et élégante, dépeignant les sentiments de l’auteur visitant l’Europe. Les nouvelles qu’il rédigera par la suite feront la part belle à cette douceur sentimentale.

2 - Le romantisme et Lermontov

En réaction contre le classicisme français, rationnel et impersonnel, qui avait marqué toute l'Europe, le romantisme qui fit son apparition au début du siècle, se caractérise par une volonté d'exprimer les extases et les tourments du cœur et de l'âme. Il est aussi bien souvent l’expression d’une sensibilité passionnée et mélancolique.

En cela, Lermontov est sans doute le seul véritable romantique de la littérature russe.
Moins éclatant que Pouchkine, Lermontov possède la profondeur de la pensée qui pouvait manquer au premier. Peu sociable, en proie à de sombres états d’âme, il meurt très jeune (il a 27 ans) lors d’un duel. Sentiment dominant toute la poésie de Lermontov, la révolte contre la société s’exprime pleinement dans son œuvre Un héros de notre temps. Cet écrit exprime toute la lassitude du héros face à une existence absurde (au fond, proche de celle d’un auteur avide d’action), où les capacités et l’envie ne trouvent pas d’emploi dans une société briseuse d’élans et empêtrée dans ses préjugés et ses traditions désuètes.

3 - Le rapport à la réalité

La littérature russe des années 1840-1880 sera, indépendamment des styles ou des genres de chacun, marquée par le réalisme des œuvres, échos à la situation de crise sociale et culturelle de la Russie de ce siècle oscillant entre changements et répressions. Cette confrontation à la réalité attisée par la révolution manquée des décembristes (1825) et celle survenue en France en 1830, amena l’ensemble des élites à s’interroger quant au devenir de la Russie et aux solutions à apporter. Ce glissement progressisme vers le réalisme ce perçoit dès le début du XIXèm siècle.

Deux grands auteurs tenant du réalisme marqueront le début du siècle. Griboïedov.(1795-1829) proche des décembristes, met en scène dans sa comédie sociale Le malheur d’avoir trop d’esprit, la situation tragique mais au combien d’actualité dans une Russie où la censure s’abat, de l’homme qui comprend et qui parle. Posant notamment la question du servage, cette pièce ne fut pas jouer du vivant de son auteur en raison de la censure. Ce texte est souvent considéré comme étant la meilleure comédie russe écrite jusqu’alors tant en raison de son style éblouissant de concision et d’esprit qu’en raison de sa richesse, cet écrit fourmillant d’idiotismes de la langue parlée et d’expressions proverbiales. Dans un autre genre, Kriylov (1768-1844) marqua la littérature russe avec ses fables, genre alors en vogue tantôt empruntant ses sujets à l’étranger, mais bien souvent les inventant lui-même. Egal de La Fontaine, on lui doit plus de 200 fables peignant avec malice et finesse toute la société russe dans son ensemble mettant à profit la richesse de la langue populaire.

Par la suite, et à sa manière, Pouchkine avait contribué à l’essor du réalisme : le triomphe de Tatiana sur Eugène Onéguine est aussi celui de la réalité sur l’artifice. Si les vers de Pouchkine respirent l'amour de la liberté, reflètent son amour pour la Russie, ils sont aussi sans complaisance : les critiques, souvent exprimées sous forme humoristique, y sont fort nombreuses et lui vaudront l’exil dans le Caucase.

Dans un autre registre, l’œuvre de ce maître du rire que fut Gogol (1809-1852) contribua à l’affirmation de ce réalisme social. Première grande figure militante, esprit énigmatique en proie à un certain mysticisme, il connaît le succès avec ses nouvelles Les soirées du hameau narrant son Ukraine profonde, cette Provence russe d’alors. A ces descriptions vivantes teintées de fantastique et de diablerie succèdent ses Nouvelles de Petersbourg. Naturaliste de la société, l’auteur s’y exprime avec un ton plus sarcastique et satyrique. Le comique de sa plume n’empêche pas de faire de Son manteau le premier plaidoyer des humiliés. Le Revizor, satire sociale de la haute bourgeoisie, et son œuvre inachevée Les âmes mortes, galerie de portraits acides des types russes, poursuivront ce chemin vers le réalisme.

Age d’or du roman (1850-1880)

A partir du milieu du XIXième siècle, le roman va progressivement supplanter tous les autres genres tant par le nombre que par la qualité des oeuvres. Outre l’apparition d’auteurs de renom, ce phénomène s’explique aussi en partie par l’impact du réalisme sur la littérature russe. En effet, les autres genres, et notamment la poésie, apparaissaient à bien des égards moins aptes à véhiculer une didactique politique ou sociale. De ce fait, la poésie connut une période de relatif silence avant son renouveau porté par les symbolistes. De même, l’hégémonie du roman ne permettra qu’a de très rares auteurs de la scène théâtrale d’inscrire leur nom au panthéon de la littérature russe. Parmi ceux-ci Ostrovski (1823-1886) offrit au théâtre russe l’un des drames qui honore le plus la scène russe (L’orage).

I - Le réalisme

Le réalisme russe se distinguera nettement du réalisme de la littérature française. En effet, le réalisme russe sera de plus en plus teinté d’utilitarisme, les écrivains étant appelés, avec plus ou moins de réussite, à s’associer aux grands mouvements idéologiques du siècle. Le roman réaliste russe deviendra alors le lieu d’expression de positionnements idéologiques.

1 - Le réalisme contemplatif

Les premiers auteurs russes à s’inscrire dans la lignée des réalistes le feront sur un mode que l’on peut qualifier de contemplatif. Plus observateurs que critiques, parfois plus chroniqueurs et journalistes qu’écrivains, ils offriront à la littérature russe de magnifiques descriptions des us et coutumes d’alors.

Aksakov (1791-1859) s’attardera ainsi sur la richesse d’une nature généreuse dans ses ouvrages évoquant le monde de la pêche et celui de la chasse (Mémoires d’un pêcheur à la ligne et Mémoires d’un chasseur dans le gouvernement d’Orenbourg). Par la suite, ses mémoires (Chronique de famille, les années d’enfance du petit fils Bagrov) nous laisseront de magnifiques images de la vie patriarcale. Comme Aksakov, Gontcharov (1812-1891) apportera à ses écrits un réel souci du détail et un amour profond et bienveillant pour la matière observée. Dans Oblomov, le souci de réalisme et d’objectivité amène l’auteur à ne s’arrêter que sur la description du milieu observé et sur les actes, cette peinture exacte des extérieurs délaissant la description subjective des sentiments.

D’autres auteurs apporteront aussi leur regard sur la Russie et ses hommes. Leskov (1831-1895) portera son regard sur une catégorie sociale (Gens d’Eglise) jusqu’alors ignorée par la littérature russe. Melnikov (1819-1883) donnera lui une vision très juste de ceux que fut la vie des Vieux Croyants (Dans les forêts et Dans les montagnes).

2 - Le réalisme militant

Tourgueniev (1818-1883) apparaît comme le premier auteur de renom à classer parmi les réalistes militants, même si cela peut paraître comme étant, à bien des égards, à ses dépends. Fervent occidentaliste, ambassadeur de la littérature russe en France où il séjourna durant de très longues années, on lui doit les plus belles descriptions de la Russie et de ses hommes (Mémoires d’un chasseur). Poète de la nature, ses écrits restituent avec force les impressions d’une nature généreuse et puissante. Porté au nu, Tourgueniev fut contraint de prendre position sur les grandes questions qui agitaient alors la société russe. Mais Tourgueniev était plus un auteur lyrique que réellement politique (ses positions modérées lui valurent des critiques tant des conservateurs que des réformateurs) et ses écrits « forcés » seront d’une qualité moindre.

D’autres auteurs, prirent plus volontairement ce rôle d’écrivain militant. Collaborateur au Contemporain puis co-directeur des Annales de la patrie, Saltykov-Chtchédrine (1826-1889), brossa, de sa langue à l’ingéniosité inépuisable et pleine d’humour, des descriptions très critiques des élites et de la société russe d’alors.

Le réalisme critique eut bien d’autres plumes oubliées depuis par la littérature russe. Pissemski (1820-18861), dans son roman Milles âmes, dénoncera ainsi l’immoralité des classes dirigeantes. Pomialovski (1835-1863) mettra quant à lui en avant un véritable homme nouveau en la personne de Molotov, roturier se hissant à force de travail en haut de la société en opposition à ces hommes de trop nés de la bourgeoisie. L’abondante littérature villageoise fourmillera de descriptions plus critiques que celles formulées jusqu’alors : Rechetnikov (1841-1871) dépeindra l’exil de paysans pousser par la misère à quitter leur village et Ouspenski et Sleptov laisseront à la littérature des portraits de paysans ignares, sauvages, voleurs et alcooliques ravagés par la misère. Gleb Ouspenski (1843-1902), plus journaliste qu’artiste, se fera quant à lui le peintre de la décadence de la vie urbaines, de sa misère, de sa prostitution, de son ivrognerie.

3 - Tolstoï et Dostoïevski

On ne peut que classer séparément ces deux géants de la littérature russe, tant par la qualité de leurs écrits, la richesse de leurs textes, que par la portée des idées et des postures morales qu’ils y développèrent et qui eurent incontestablement un impact important sur le mouvement des idées qui agitait alors la Russie.

Réalistes, ces deux auteurs le sont indéniablement, bien que chacun de manière très différentes. Tolstoï (1828-1910) est ainsi cet incomparable peintre des destinées humaines au réalisme sensible. Contrairement à Dostoïevski dont les héros sont sombres et énigmatiques, Tolstoï décrit des hommes normaux, équilibrés, « lisibles », protagonistes épurés des questions qui n’ont jamais cessé de l’obséder. Dostoïevski sera quant à lui ce réaliste de l’intérieur, dépeignant dans ses écrits les âmes humaines dans leurs contradictions et leurs destinées tragiques. Il se plaît à dépeindre des malades, des souffrants, des victimes, à étudier les drames du crime et du remords. Les décors sont accessoires, la nature et les joies rares…. Les atmosphères sont dramatiques, angoissantes. Avec Dostoïevski, l’homme redevient un mystère, reconquiert sa complexité. Son œuvre s’oppose ainsi à la philosophie mécaniste et au déterminisme incapables de restituer l’homme dans sa pensée et ses motivations profondes : en replaçant l’inconscient, l’irrationnel, comme moteur de l’homme, Dostoïevski a enrichi notre vision de l’homme.

De tendancieux, leurs écrits se feront de plus en plus moralisateurs s’inscrivant de fait dans ce réalisme utilitaire de la littérature russe d’alors. Mais ce réalisme utilitaire était bien différent de celui développé par la littérature russe du moment. Ainsi, là ou le réalisme s’envisageait à travers l’unique prisme du monde matériel, Tolstoï et Dostoïevski affirmeront quant à eux le primat de l’esprit et placeront aux centre du débat idéologique et sociétal les préoccupations religieuses et métaphysiques. A cet égard, leur posture moralisatrice (voir leur biographie) contribua tout autant à leur succès que la qualité intrinsèque de leur prose.

4 - Le rôle des critiques littéraires

Les critiques littéraires jouèrent un rôle déterminant dans l’orientation prise par la littérature russe vers le réalisme critique. Ainsi, au cours de la première moitié du XIXème siècle, cette critique se polarisant entre slavophiles et occidentalistes, amena les auteurs de l’époque à se positionner au regard de ses deux conceptions. Progressivement, ces critiques, usant des tribunes mises à leur disposition dans le Contemporain et les Annales de la patrie, devinrent un plaidoyer pour la littérature progressiste, engagée, incitant les auteurs à s’orienter sur le chemin du réalisme sociale au détriment de l’art. En effet, la valeur esthétique d’une œuvre, était, pour la critique d’alors, secondaire, voire incompatible avec le fonction première de l’écriture qui se devait d’avoir une valeur didactique. Tchernychevski (1828-1889), Dobrolioubov (1836-1861), Pissarev (1840-1868) s’opposeront ainsi aux auteurs de l’art pour l’art, et notamment aux poètes.

Il convient de souligner que ces critiques surent aussi repérer et porter les jeunes talents en offrant dans leurs tribunes une place aux futurs grands de la littérature russe. Occidentaliste convaincu, Bielinski fit, par son activité de critique littéraire, beaucoup pour la littérature russe en valorisant le travail d’auteurs dont Pouchkine, Gogol, Tourgueniev, ou encore Dostoïevski.

II - La poésie durant un demi-siècle de réalisme

Se prêtant moins à l’expression d’un discours didactique à valeur politique ou social, la poésie connut durant près de 50 ans, soit entre Lermontov et les symbolistes, une période de relatif silence. Les rares poètes d’alors furent néanmoins eux aussi confrontés à l’invasion de ces préoccupations utilitaires : à l’opposé de poètes réalistes (ou poètes-citoyens), résisteront alors quelques auteurs privilégiant l’esthétique à la rhétorique sociale.

1 - Les poètes-citoyens

Comme Tourgueniev, Nekrassov (1821-1877), victime de son succès (il est le poète majeur de cette seconde moitié du XIXième siècle), fut contraint de prendre position sur les grandes questions qui agitaient alors la société. Ses vers, alliant lyrisme et satire, parviendront avec plus ou moins de bonheur à concilier intention didactique et nécessités de l’art, laissant de ce fait à la postérité une production à la qualité bien inégale. Ses véritables qualités transparaîtront dans ses œuvres plus personnelles où il pourra exprimer toute sa sensibilité d’artiste. Son chef d’œuvre, Qui vit heureux en Russie est le parfait exemple de cette synthèse impossible entre l’art utilitaire et l’esthétique.
Ce vaste tableau de la vie des campagnes, qui fit rentrer la vie populaire au nombre des thèmes de la poésie nationale, offre une qualité d’ensemble médiocre, le texte perdant son unité dans les visées didactiques trop vastes. Mais certaines scènes de cette vie bariolée au réalisme impeccable nous ont donné certains des plus beaux vers de la littérature russe. Nekrassov a par ailleurs fortement contribué à l’essor de littérature russe en dirigeant pendant plus de trente années les deux principales revues du siècle (le Contemporain et les Annales de la patrie).
Bien d’autres poètes sont à ranger parmi cette catégorie des poètes-citoyens. Nikitine (1824-1861) se fera ainsi le poète de la vie rurale et du moujik. Mais à l’inverse de Koltsov à qu’il emprunte beaucoup, ses vers sont sombres et tristes, emprunts de misère. Poète Ukrainien, Chevtchenko (1814-1861) dont l’art s’apparente à la chanson, a chanté l’Ukraine qu’il souhaitait voir se libérer de l’oppression russe.

2 - Les tenants de l’art

Précurseur du symbolisme, Tioutchev (1803-1893), fut l’un des grands poètes qui marqua la seconde partie du XIXième siècle. Poète de la pensée intime et du monde intérieur, son œuvre apparaît très éloignée des préoccupations utilitaires de la littérature, ses vers exprimant le tourment de l’homme et une nature omniprésente, chaotique, de nuit, d’autonome et de mort. Fet (1820-1892) sera lui aussi le poète de l’intérieur. Moins tourmenté et pessimiste que Tioutchev, ses vers, pleins de finesse et de délicatesse à la douce musicalité, excellent pour communiquer les émotions du cœurs, ces sentiments vagues et fuyants. Fet compara sa poésie au « langage muet que parle les feuilles ». Il est, lui aussi, considéré comme l’un des précurseurs, voire même comme étant le premier symboliste.

D’autres poètes de cette époque laisseront encore à la littérature de jolis vers. Maïkov (1821-1897) dont l’oeuvre manque de profondeur personnelle, a néanmoins marqué la poésie par la réelle qualité esthétique de ses écrits. Enfin, Alexis Tolstoï (1817-1875), cousin au second degré du romancier, ne vivra que pour son art dont il défendra l’indépendance face au réalisme. Touchant à tous les genres (poésie lyrique, tragédies en vers, ballades,…) dans une œuvre abondante, ses vers fluides mais là encore trop peu personnels, le classèrent parmi les amateurs érudits et distingués plus que parmi les véritables poètes.

Le renouveau littéraire (1880-1917)

Age d’argent de la littérature russe, la période qui couvre les deux dernières décennies du XIXième siècle et les deux premières du XXième siècle fut marquée par un renouveau culturel lié notamment au déclin du réalisme qui avait fortement formaté la littérature russe tout au long du XIXième siècle. Ce déclin fut favorable à une revalorisation de l’art : la forme et la musicalité étaient ainsi appelées à se substituer à la mission didactique, au devoir social de l’écrivain. La poésie fut aussi la première à bénéficier de ce renouveau recherchant tout azimut de nouvelles formes d’expression dans cet espace de liberté retrouvé. Mais la poésie ne sera pas le seul genre à connaître le succès auprès des lecteurs. Les récits courts et notamment les nouvelles prirent l’ascendant sur les romans.

I - La fin du réalisme ?

Approche dominant la littérature russe pendant la seconde moitié du XIXième siècle, le réalisme, et plus particulièrement le réalisme de tendance, verra son influence fortement diminuer au profit de l’exigence artistique. Ainsi, paradoxalement, si la littérature russe du XIXième siècle n’avait de cesse de souffler le vent de la révolution et de la contestation, les préoccupations révolutionnaires se firent de plus en plus discrètes a mesure que le révolution se profilait. Suite à « l’échec » de la révolution de 1905, certains auteurs prirent même le parti d’adopter une ligne plus conciliante à l’égard du pouvoir rompant avec une confrontation jugée stérile.

1 - Recul : les causes

Les causes de ce recul sont multiples. En premier lieu, la politique réactionnaire menée par Alexandre III et Nicolas II (emprisonnements massifs, relégations, censure,…) limita fortement l’impact des plumes les plus acérées tout en suscitant une certaine tendance au découragement au sein des mouvances révolutionnaires : le succès de la doctrine de la non-résistance au mal prônée par Tolstoï (1828-1910) s’explique sans doute par cet affaissement révolutionnaire. L’abolition du servage vint par ailleurs priver ces mouvances de leur principal objet de contestation.
Le recul du réalisme trouve aussi ses causes dans un renouveau culturel insufflé par l’Occident. Des auteurs comme Baudelaire, Mallarmé, Verlaine, influencèrent ainsi beaucoup les symbolistes russes alors que Zola, Maupassant et Poe eurent de nombreux échos chez les nouvellistes. Cette influence européenne fut d’autant plus forte qu’elle était ardemment recherchée par une bourgeoisie naissante désireuse de s’aligner culturellement sur le mouvement européen. Ainsi, la littérature russe n’étant plus dans les mains uniquement d’une élite cultivée et politiquement engagée, de nouveaux genres et thèmes se développèrent afin de répondre aux nouvelles aspirations. A cet égard, le succès sulfureux de Sanine, le roman de Mikhaïl Arcybasev (1878-1927), qui prône notamment, dans un individualisme et un hédonisme effrénés, le culte de la sensualité et de l’amour libre, est tout a fait significatif.

2 - Le néo-réalisme

Moins prégnant sur la vie littéraire, le réalisme n’en demeura pas moins présent. A cet égard, il est significatif de souligner que les principaux écrivains de cette époque qui survivront au temps (Gorki, Tchékhov,…) sont à chercher parmi les réalistes (ce constat est toutefois à relativiser tant l’influence de la critique soviétique, qui minimisa la qualité de leurs contemporains, reste forte).

Souvent considéré comme le fondateur du réalisme socialiste en littérature, Maxime Gorki (1868-1936) est une figure incontournable de la littérature russe du début du XXe siècle. Avec une enfance marquée par l'adversité, il s'est imposé comme une voix majeure dépeignant la vie des classes laborieuses et des marginaux de la société russe.

Loin de visées esthétiques, les auteurs néo-réalistes s’attachèrent à soumettre à leur regard réaliste tout un nouvel univers industriel et urbain en plein essor. Alexandre Serafimovitch (1863-1949) évoquera ainsi dans son roman La ville dans la steppe la construction d’une ville industrielle et l’opposition naissante entre capital et prolétariat. C’est sur la misère de ce dernier que Stefan Skitalec (1848-1936) rédigea de nombreux récits. Léonide Andreïev (1871-1919), qui connu en son temps un succès égal à celui de Gorki, restera quant à lui l’écrivain de l’angoisse, évoquant dans ses récits pessimistes la mort, la solitude, le suicide, l’atroce.

Mais les auteurs les plus connus de ce mouvement seront aussi ceux qui s’en écarteront progressivement. Réaliste classique s’inscrivant dans la lignée de Tourgueniev, Alexandre Kouprine (1870-1938), après avoir laissé à la littérature russe des écrits réalistes (Le Moloch) sur l’industrialisation et la vie des ouvriers, abandonna progressivement toutes visées moralisatrices. Tenant lui aussi de ce réalisme classique, Bounine (1870-1953), prix Nobel de littérature en 1933, après des récits réalistes forts pessimistes sur le monde rural et son arriération, s’écartera lui aussi du groupe Znanie et finira même par quitter la Russie.

II - L’apogée des nouvellistes

Si le réalisme vit sont emprise sur la littérature russe s’amoindrir, il en fut de même du mode d’expression qui l’avait véhiculé jusqu’alors. Le roman fut ainsi délaissé au profit de formes narratives plus brèves. Aussi peu de romanciers marqueront cette époque. Parmi ceux a avoir connu un succès éphémère, Piotr Boborykine (1836-1921) laissera une abondante chronique sur la société russe de 1850 à 1920 a l’intérêt plus historique que littéraire. Nicolas Lejkin (1841-1906) connut un grand succès avec son roman Nos compatriotes à l’étranger narrant les mésaventures de russes expatriés se retrouvant dans des situations cocasses par méconnaissance des langues.
Récits et nouvelles furent ainsi les formes les plus prisées d’expression. Tolstoï privilégia lui-même, dans la dernière période de se vie littéraire, la forme courte aux longs romans. Trois nouvellistes marqueront par leurs récits et leur style l’histoire de la littérature russe.

Nouvelliste le plus représentatif des années 1880, Vsevolod Garchine (1855-1888), qui oscillera entre symbolisme (dont il considéré comme l’un des précurseurs) et réalisme, rédigera une vingtaine de nouvelles psychologiques, pleine d’horreur et de folie, évoquant la lutte des hommes confrontés au mal et où seul le suicide apparaît bien souvent comme l’unique solution.

Populiste et humaniste, Vladimir Korolenko (1853-1921) puisa dans son vécu d’exilé en Sibérie la matière à ses nouvelles. Celles ci évoqueront dans une œuvre pénétrée d’une réelle compassion ces petites gens du Nord de la Russie et de la Sibérie, certes vagabonds, fugitifs ou assassins, mais épris d’espace et de liberté. Son succès était lié tant à cet optimisme, à cet élan généreux, à cette vision positive de l’homme que la société pervertit, qu’à ses description d’une nature sauvage.

Souvent considéré comme l'un des plus grands écrivains de nouvelles au monde, Tchekhov se spécialise dans la capture de moments fugaces de la vie quotidienne.

III - Le renouveau poétique

En renonçant à son rôle uniquement pédagogique et en recentrant le travail d’écriture sur la valeur artistique, la littérature russe offrit à la composition en vers une véritable renaissance. Ainsi, après le succès aussi phénoménal qu’éphémère de Nadson (1862-1887) qui apparaît comme le dernier poète d’importance à avoir conserver les lois de la poésie classique dans ses poèmes pleins d’attendrissement à l’égard des espérances défuntes, plusieurs écoles se développeront. Mais qu’ils soient symbolistes, acméistes, ou encore futuristes, nombreux furent les poètes du début du siècle à s’exiler suite aux révolutions de 1917. En effet, le nouveau pouvoir pouvait difficilement s’accommoder de vers aussi peu soucieux de réalisme social…

1 - Le symbolisme

Si le symbolisme ne s’exprima pas exclusivement par la poésie, cette forme d’expression fut particulièrement favorable à son développement.

Importé d’Europe en Russie où il trouva un terreau fertile en opposition au marxisme, le symbolisme (mouvement nommé dans un premier temps Décadent pour saluer en Verlaine, qui affectionnait ce mot, leur figure de proue) cherchait a dépasser une vision mécaniste du monde considérée comme trop réductrice : pour les symbolistes, le monde ne pouvait se limiter à une apparence concrète réductible à la connaissance rationnelle. Et c’est dans une expression pleine de suggestions et de symboles qu’ils cherchèrent à dire cet éternel, cet absolu, cet irrationnel impalpable. Rien d’étonnant alors à voir cette poésie marquée par des préoccupations religieuses et mystiques. Alexei Remizov (1877-1957) développera ainsi dans ses vers et sa prose l’idée que l’homme a été abandonné par Dieu à la souffrance, la misère et la mort. C’est une œuvre pénétrée d’effroi mystique que laissera aussi celui qui restera comme le poète de la mort libératrice, Vladimir Sologoub (1863-1926), auteur notamment du Démon mesquin. C’est encore le foi religieuse qui transparaît dans les vers de Soloviev (1853-1900), poète philosophe qui influencera Blok.

D’abord diffusé, dès la fin du XIXème siècle, par des poètes recourant encore à une expression classique, transparente, tels que Valéry Brioussov (1873-1924) ou encore Constantin Balmont (1867-1942), le symbolisme évolua au début du nouveau siècle vers une forme d’expression nouvelle, plus floue. Et c’est notamment Dimitri Merezkovskij (1865-1941) qui, plus que par ses propre poèmes, favorisa la diffusion du symbolisme par son activité de critique. Il formera avec sa femme Zinaïda Hippius, qui deviendra la symboliste de l’émigration la plus en vue, le noyau dur de l’école symboliste au début du siècle avant d’être relayé par Bély (1880-1934) et Blok (1880-1921), ce dernier étant sans doute le poète symboliste le plus complet et le plus authentique au point que nombreux sont ceux à en faire l’égal de Pouchkine.

2 - Acméisme et futurisme

Prenant le contre-pied du symbolisme auquel ils succédèrent, les acméistes revendiquaient l'utilisation d'un langage simple et concret pour porter à son apogée la dimension poétique du quotidien. Goumilev (1886-1921), Mandelstam (1892-1942), mais surtout Akhmatova, dont les vers délicats et intimistes lui valurent un très large succès, furent les principaux poètes de cette mouvance.

Enfin, plus hermétique, le futurisme, sous les plumes de Severianine (1887-1941) ou encore de Khlebnikov (1885-1922), tenta d’imposer une poésie riche d’une expression pleine d’innovation (souvent au détriment d’une compréhension directe et de l’esthétique) associant rythmes, couleurs et lumières afin d'exprimer une « sensation dynamique » capable de représenter le monde moderne, en particulier la civilisation urbaine, les machines et la vitesse.

La littérature russe à l’ère soviétique

I - De la révolution à la NEP : 1917-1921

Suite à la révolution, la presse et les imprimeries passèrent sous le contrôle d’un Parti désireux de soumettre la culture à sa cause.

Si certains, comme Gorki, adoptèrent une attitude réservée face aux événements, nombreux furent les écrivains à se ranger du coté des Blancs et, suite à la défaite de ces derniers, à gagner l’étranger (Balmont, Bounine, Kouprine,…). Berlin devint ainsi un centre majeur de la littérature de l’exil. Ceux qui firent le choix de rester sans pour autant rallier le nouveau pouvoir (comme Akhmatova), connurent l’oubli, le silence forcé (privés de moyens de production, les poètes déclamaient alors leurs œuvres dans les cafés : c’est la « période des cafés. ») ou la mort. Certains adoptèrent une ligne plus conciliante en acceptant d’intégrer, en qualité de spécialistes, les institutions culturelles comme les musées ou les bibliothèques. D’autres enfin, dont Valéry Brioussov et Nikolaï Goumilev, s’associèrent à la révolution et participèrent à la formation des nouveaux écrivains issus du monde ouvrier, des rangs des combattants ou encore de la paysannerie et dont les écrits étaient de qualité très relative.

Incapable d’encadrer le développement de cette nouvelle culture en raison de préoccupations plus urgentes liées à la guerre civile, le nouveau pouvoir accepta de voir se développer clubs et centres culturels qui luttèrent alors pour s’imposer comme porte-drapeau de la nouvelle culture.

1 - Le proletkult

On doit à une initiative personnelle l’élaboration de l’un des plus large mouvement culturel d’alors : le proletkult (contraction de proletarskaja kultura, « culture prolétaire »). L’écrivain Alexandre Bogdanov avait dès 1902 conçu l’idée d’une « culture prolétarienne ». Il donna corps à cette idée en impulsant la création, suite à la révolution, d’un vaste tissu associatif devant permettre aux prolétaires d’exprimer leur potentiel créatif afin de supplanter la « culture bourgeoise. » Le proletkult compta à son apogée plus de 500 000 membres. Mais les velléités d’indépendance du mouvement face au Parti amena celui-ci, en 1920, à placer ce mouvement sous la tutelle d’un Etat qui souhaitait, par la même occasion, conserver une culture, certes bourgeoise, mais très riche. Dans Nous, Kirilov en appelait ainsi à brûler Vinci et à raser les musées.

Avant d’être absorbé par le Parti, ce courant laissa à la littérature russe, avec Alexis Gastiev, Vladimir Kirilov, Vassili Alexandrovski, Mikhaïl Guérassimov ou encore celui qui fut considéré comme le Krylov soviétique, Demian Bedny, de très nombreux écrits optimistes et héroïques chantant la ville libératrice opposée au village arriéré, l’industrialisation, le collectivisme. Le proletkult influença aussi le théâtre dont le cadre traditionnel explosa : c’est l’époque des représentations géantes (La prise du palais d’hiver compta environ 10000 acteurs et figurants) sensées insuffler aux masses l’idéologie communiste. On qualifie aussi souvent ce théâtre d’ « agitprop. »

2 - Le LEF

Porté en littérature par le poète Vladimir Maïakovski, principal poète de l’ère soviétique, un autre courant, le LEF (front gauche de l’art) vit le jour. Ephémère, ce courant valorisait la technique, la science, en adoptant des écrits plus proches du documentaire que de la fiction (on parle d’art factographique).
Ce journalisme du quotidien donna lieu à de très nombreux écrits sous la forme de croquis, de tableaux du quotidien, de mémoires ou encore de comptes-rendus de voyage. Dans son roman Tchapaev, Furmanov inséra ainsi analyses militaires et coupures de presse à son récit.

II - La NEP Littéraire

La pause sur la voie du communisme voulue par Lénine en 1921 fut également favorable à la littérature russe. Si la censure était toujours présente, les maisons d’édition privées furent à nouveau autorisées et une plus grande liberté de ton fut admise. De plus, le Parti réfuta en 1925 le rôle de « nouveaux guides de la littérature » que s’étaient arrogés les écrivains prolétaires revalorisant ainsi ceux que Trotski qualifia de « Compagnons de routes », c’est à dire des intellectuels de talent qui sans soutenir le parti, ne le critiquaient pas non plus.

Les écrits d’alors gravitèrent majoritairement sur un seul thème : la révolution et ses conséquences sur le quotidien. Boris Pilniak fut ainsi l’un des premiers auteurs à placer la révolution au cœur de ses écrits (L’année nue). Chroniqueur du quotidien, Valentin Kataïev décrira quant à lui la vie dans la Russie d’alors avec sa pénurie de logement, les fraudes mesquines,… Plus acerbes, usant d’écrits où l’humour, le cynisme, le grotesque et le burlesque venaient dénoncer les aberrations du quotidien, Zamiatine (1884-1937), Boulgakov (1881-1939), Babel (1894-1939/41) ou encore Ilf et Petrof, connurent un immense succès mais aussi l’exil, la censure ou la mort.
Nikolaï Tikhonov sera l’un des rares à donner une vision grandiose des événements révolutionnaires. Ses écrits jetteront les bases de la littérature soviétique.

Loin des considérons idéologiques d’alors, les Sérapions revendiquaient quant à eux l’autonomie de leur art et la prédominance de la valeur artistique sur la valeur idéologique. Ce groupe, qui eut une forte influence, compta dans ces rangs hormis Evgueni Zamiatine, Mikhaïl Zochtchenko, auteur qui popularisa dans ses nouvelles très brèves le skaz. Composé de jeunes marxistes, le groupe Pereval (dont l’auteur le plus connu fut Ivan Kataïev), bien que plus marqué idéologiquement, revendiquait quant à lui une plus grande valorisation de l’art en opposition à la langue vulgaire des écrivains prolétaires.

III - La période stalinienne

1 - Les premières années (1928-1941)

Avec l’avènement de Staline, la littérature russe vit se refermer l’ouverture très relative que fut la NEP : l’ère du doute, des rebelles, des rêves, des romantiques de la première heure était révolue.
Créé en 1920, le RAPP (Association Russe des Ecrivains Prolétaires), appuyé par le pouvoir, s’imposa alors sur les autres mouvements littéraires. Mais en avril 1932, le pouvoir, soucieux de se rallier de nouvelles plumes dont celles des Compagnons de route, supprima le RAPP jugé trop excessif et le remplaça par l’Union des Ecrivains auquel les auteurs étaient appelés à adhérer « volontairement ». En 1934, lors du premier congrès des écrivains soviétiques, les auteurs durent toutefois prêter serment de fidélité au Parti, ceux à quoi Boulgakov, Mandelstam ou Akhmatova s’opposèrent. Opposés à cette main mise du Parti, nombreux furent les écrivains et intellectuels a être emprisonnés durant cette période.

D’autres choisirent l’écriture silencieuse sans certitude d’être publié un jour, comme Boulgakov. D’autres enfin se réfugièrent dans des domaines moins sensibles comme la traduction ou les comtes pour enfants. Alexandre Grin privilégia ainsi la nouvelles fantastiques et Mikhaïl Prisvin l’évocation de la splendeur de la nature de la Russie profonde. Cette période fut difficile pour la poésie dont les formes, les sonorités et l’abstraction étaient difficilement conciliables avec le matérialisme ambiant. Seuls Pasternak, Vladimir Maïakovski, Aseev Nikolaï, Anna Akhmatova ou encore Sergueï Prokofiev réussirent un temps à publier.

Durant toute l’ère stalinienne, le réalisme socialiste devint l’ultime critère pour évaluer la qualité d’une œuvre. Pour Staline, les écrivains étaient en effet les ingénieurs de l’âme, l’auteur ayant pour rôle d’éduquer les masses en décrivant la réalité, du moins celle du Parti. Mais se devant d’être accessible au plus grand nombre, la littérature perdit en qualité, le fond étant privilégié au véritable art d’écrire. Peu d’auteurs de l’intérieur (en opposition à œuvres d’auteurs expatriés) comme Alexandre Fadéev qui dirigea durant plusieurs années le RAPP puis de l’Union des Ecrivains, Constantin Fédin ou encore Leonid Leonov (1899-1994), laissèrent des écrits de qualité.

Les héros et thématiques de la littérature russe d’alors étaient les travailleurs, les pionniers, les kolkhoziens et les fonctionnaires du Parti, hommes et femmes optimistes avançant ensemble pour l’édification d’un monde nouveau. Inspirés par les visites de chantiers et de kolkhozes organisées par l’Union des Ecrivains, les auteurs à succès sous Staline furent Nikolaï Virta qui idéalisa la vie dans le kolkhoze (Notre pain quotidien), Youri Krymov qui loua le stakhanovisme (Le tanker Derbent), Nikolaï Pogodine qui fut quant à lui le chantre des camps rééducateur ou encore Nikolaï Ostrovski qui, avec son roman Et l’acier fut trempé, donna à la jeunesse communiste l’un de ses plus grands héros en la personne de Pavel Korchagin.

Par la suite, dès les années 1930, le pouvoir de Staline s’étant affirmé, le littérature russe fut chargée de lui trouver une légitimité historique. C’est l’époque des grands romans historiques dans lesquels prédominèrent culte du chef et falsification de l’histoire. Ainsi, Alexeï Tolstoï (qui fut un temps président de l’Union des Ecrivains), dans Le pain, contribua à valoriser le rôle de Staline durant la guerre civile.

2 - Le Grand Guerre Patriotique : entre patriotisme et liberté

La Grand Guerre patriotique fut une période d’ouverture fragile. En effet, le pouvoir, qui cherchait à rallier à sa cause un plus grand nombre d’auteurs, s’assouplit. Certains auteurs condamnés jusqu’alors au silence furent ainsi autorisés à publier de nouveau et certains, comme Anna Akhmatova, reprirent même la plume pour soutenir l’effort de guerre.

Le réalisme socialiste fut également plus permissif. Ainsi, à côté de thèmes très convenus exaltant l’héroïsme de l’homme moyen, du soldat (Un homme véritable de Boris Polevoï), du peuple ou encore la résistance de komsomols (La jeune garde d’Alexandre Fadéev), des approches plus psychologiques (Pour la bonne cause de Vassili Grossman qui aborde notamment la notion du sacrifice), réalistes (dans Les Jouets et les Nuits, Constantin Simonov évoquera ainsi la guerre dans toute sa cruauté, même si ses héros étaient encore très idéalisés) ou encore intimistes (Les tranchées de Stalingrad de Victor Nekrassov adoptait plus une perspective centrée sur l’individu que sur le Parti).

3 - L’après guerre

Conforté par sa victoire, le pouvoir, comme après la guerre civile, mit fin à la timide ouverture qu’occasionna indirectement la guerre. Sous la coupe d’Alexandre Fadéev nommé secrétaire de l’Union des Ecrivains, la censure se durcit de nouveau. Les thématiques autorisées se focalisèrent alors sur la lutte contre l’occident (dans une vision très manichéenne) et la glorification de Staline.

IV - De Khrouchtchev à Gorbatchev

Durant la période qui va de la mort en 1953 de Staline à la prise de pouvoir par Gorbatchev en 1985, la littérature russe va connaître un mouvement complexe. Toujours encadrée par l’Union des Ecrivains et étant toujours l’objet des pressions de le censure, les écrivains purent s’engouffrer dans des brèches ouvertes par un pouvoir cherchant à instrumentaliser la littérature dans un échiquier politique et historique plus complexe.

1 - Le dégel

Il en va ainsi de la période de dégel (du nom du roman d’ Ilia Ehrenbourg) qui suivit l’accession au pouvoir de Khrouchtchev. Afin de conforter sa ligne politique dite de déstalinisation, celui-ci autorisa de nouveaux thèmes comme la souffrance du quotidien, l’abomination des camps (il autorisa ainsi lui-même la publication du roman d’Alexandre Soljenitsyne (1918- / ), Une journée d’Ivan Denissovitch), la nomenklatura… Mais la marge des écrivains s’avérait très étroite, puisqu’il s’agissait avant tout de dénoncer les méfaits d’un homme, Staline, sans remettre en cause le Parti ou le modèle soviétique.Le Parti dénonça par ailleurs la politique d’Alexandre Fadéev à la tête de l’Union des Ecrivains et qui, lâché par le pouvoir, se suicida.

Le 20ème congrès du Parti Communiste, en 1956, vint également confirmer cette ouverture. Plusieurs auteurs furent ainsi réhabilités (Isaac Babel, Ivan Kataïev) ou encore libérés des camps. Des auteurs censurés jusqu’alors se virent enfin publiés (Anna Akhmatova, Mikhaïl Boulgakov,…).

D’autres thèmes comme l’amour, le divorce et dans une moindre mesure la sexualité et l’alcool firent également leur apparition, profitant en cela de l’ouverture que connut alors l’ensemble de la société. C’est le retour des sentiments et des émotions. Le guerre sera également une thématique très présente dans la littérature d’alors (plus de 20 000 titres seront ainsi publiés entre 1945 et 1990) ; guerre qui sous les plumes de Youri Bondarev, Grigori Bakanov, Vassil Bykov sera évoquée dans toute son horreur.

2 - Réaction et stagnation

Avec l’accession de Brejnev au pouvoir en 1964, la littérature russe entre, jusqu’en 1985, dans une période de réaction et de stagnation. Censure, pressions, emprisonnement et expulsions (Soljenitsyne en 1970) redevinrent le lot des auteurs.

Ce nouveau durcissement consomma la rupture entre les écrivains et le pouvoir. Une littérature d’opposition se développa alors via le système des Samizdat (« auto-édition ») qui consistait à diffuser des écrits dactylographiés sur papier carbone, les photocopieurs étant sous le contrôle de l’Etat. De nombreux auteurs cherchèrent également à voir leurs écrits publiés à l’étranger : c’est l’essor des tamizdat, littéralement « publier ailleurs ».
Car si les pressions et interdits étaient bien réels, le pouvoir se montra toutefois plus permissif qu’il ne le fut sous Staline. L’abandon progressif, suite à la déstalinisation, des thématiques traditionnelles prônées par le réalisme socialiste, l’avènement d’une nouvelle classe sociale plus bourgeoise, la nomenklatura, sensible à des préoccupations autres qu’idéologiques et l’effritement d’une société hésitante et vacillante, notamment lors des présidences de Youri Andropov et de Constantin Tchernenko, expliquent sans doute l’ouverture de la littérature russe à de nouvelles thématiques. Tant qu’ils n’attaquaient pas frontalement le pouvoir, les auteurs semblèrent avoir plus de marge d’expression. Dès lors, à côté d’une littérature traditionnelle, militante aux productions convenues et sans grand intérêt littéraire, une prose moins idéologiques et plus intimiste se développa.

Longtemps étouffée sous des tableaux idéalisant la vie dans les kolkhozes, la vie des campagnes fut l’objet d’une abondante littérature nettement plus critique. Valentin Raspoutine laissera ainsi d’innombrables tableaux narrant la vie des paysans sibériens. Viktor Astafiev dépeindra quant à lui dans des récits fortement autobiographiques un mode de vie difficle en passe de disparaître.

Cette littérature tout en dénonçant les conditions de vie pénibles, s’attachait à mettre en exergue les valeurs du monde rural, de la Russie profonde et par la même de la véritable Russie et de son peuple. Aux accents incontestablement slavophiles, cette prose s’éloignait considérablement de l’univers soviétique, de la ligne du Parti qui partageait toutefois avec ces auteurs le rejet du capitalisme occidental, l’opposition au mode de vie de la jeunesse ou au mouvement féministe. En cela, cette littérature des campagnes s’opposera fortement au mouvement littéraire qui se fit jour dans les années 1970 et dont les auteurs (dont Axionov (1932- / )) adoptaient un ton plus cru, satirique, à « l’occidental » qui capta immédiatement l’attention de la jeunesse.

La disparition progressive du carcan de la rhétorique officielle fut par ailleurs favorable à la poésie qui connaîtra dans les années 1970 un certain renouveau avec notamment Evgueni Evtouchenko qui s’imposera plus par la force de ses déclamations que par l’originalité de son style (il sera l’un des premiers à prendre parti en public pour la politique de Gorbatchev). La nouvelle devint aussi un genre très prisé, sa concision n’obligeant pas l’auteur à recourir au pathos de l’idéologie. Le théâtre se libéra lui aussi du réalisme socialiste. Ainsi, Viktor Rozov, qui sera récompensé à Cannes en 1958 pour son film Quand passent les cigognes, centra le théâtre sur des tableaux d’une jeunesse hésitante, loin des poncifs d’alors sur les komsomols.

V - La littérature de l’exil

Opposés au nouveau pouvoir, de nombreux auteurs préférèrent fuir l’URSS dès 1920. Une importante communauté russe s’installa ainsi à Berlin qui devint le centre de la vie littéraire des expatriés.
Une fois la guerre civile terminée, certains auteurs tentèrent de retourner en URSS comme Marina Tsvetaeva (1892-1941). Ayant connu le succès depuis Berlin avec sa poésie d’exilée solitaire, il décida de regagner en 1929 l’URSS. Délaissée par les autres auteurs, elle se suicida en 1941.

Peu unifiée (un seul et unique congrès en 1928 à Belgrade), la littérature de l’exil se divisa d’autant plus lors de la seconde guerre mondiale, certains souhaitant la victoire d’une Russie bien que soviétique, d’autres souhaitant sa défaite pour voir le pouvoir renversé. Cette période de guerre amena enfin d’autres auteurs à poursuivre leur migration sur Paris dans un premier temps puis aux Etats-Unis comme Nabokov. A l’enthousiasme qui suivit la victoire et la timide ouverture du pouvoir, succéda la douleur des répressions suite au rapatriement des auteurs installés en Europe de l’Est passés sous le control de l’URSS. Seuls les auteurs dénigrant l’Occident ou chantant la patrie furent alors réhabilités et publiés.

De manière générale, les conditions de vie des auteurs étaient difficiles. Seuls ceux qui furent traduits connurent une vie moins difficile. La difficulté de ces vies apparaîtra bien souvent dans les écrits de ces auteurs. Les romans de Nina Berberova (1901-1993), de Roman Gul (1896-1986) ou encore ceux d’Alia Rachmanova (1898-1991) exprimèrent toute la solitude et l’isolement des Russes exilés. Les vers de Georgi Ivanov (1894-1958) évoquèrent la mort, la damnation, le désespoir.