Le goulag

L'URSS a disparu en 1991. Son système de répression a été profondément marqué par le GOULAG. En réalité, cette abréviation désigne la " direction générale des camps " ; depuis 1930 par extension elle en est venue à désigner l'ensemble des camps. Ce système exploitait le travail forcé des détenus. II réprimait en outre l'opposition au régime. II trouve ses racines, dans le régime tsariste et dans les camps d'internement bolcheviques destinés aux opposants. " L'archipel du goulag " s'est généralisé et a perduré jusqu'aux années 80. Sur une telle période la coupure de 1953 à 1960 est significative. Le promoteur de ce système, Staline, meurt en 1953. Le goulag est alors démantelé en partie. Cet ensemble a brassé des millions de " zeks " (détenus), d'où de nombreuses sources d'information tant privées que publiques. Leur utilisation permet de définir et d'analyser sa nature, son origine, son poids économique et sa population. Sur cette période qui va de 1918 à1960 , ce système concentrationnaire basé sur la terreur s'est élargi. II a amené des hommes de tous milieux, à vivre ensemble dans des conditions extrêmes. Mais son inefficacité a plié sous le poids des contraintes internes et externes.

La mise en place du système du Goulag

Sous le régime tsariste, le recours au travail forcé était courant afin de construire des villes et d'exploiter de nouveaux territoires. Par exemple, Pierre le Grand a fait construire sa capitale St Pétersbourg, ses forteresses et ses canaux par ce biais. Donc le travail forcé au goulag repose, pour une part, sur un usage tsariste. Cependant le développement de ce système date de Lénine. Sur ce sujet ses déclarations sont claires. II écrivait en août 1918 dans un télégramme: " enfermer les douteux, dans un camp de concentration hors de la ville... ", et " .. faire régner une terreur massive et sans merci.. " (1). Par camps de concentration, Lénine entend des camps ou l'on concentre des prisonniers ennemis afin de les isoler, à l'instar des Anglais et des Espagnols lors des guerres des Boers ou de Cuba. Le but n'est ni de les exploiter ni de les exterminer, même si les conditions de vie peuvent être épouvantables. Mais les intéressés sont ici des personnes suspectes, non encore reconnues coupables. Cette première explication est confirmée par le décret sur la terreur rouge le 5 septembre 1918: " protéger la république des soviets contre ses ennemis de classes, en isolant ces derniers dans des camps de concentration. Mais ce premier sens disparaîtra vite avec le développement des camps. Sous l'impulsion d'Hitler et de Staline dans les années 30 et 40, un camp de concentration désigne une réalité plus complexe et plus tragique. II regroupe et mêle deux fonctions : la terreur de masse allant jusqu'à l'extermination et l'exploitation massive au moyen du travail forcé. C'est cette évolution d'un camp d'isolement à un camp de concentration qu'il convient de décrire, dans le cas soviétique.

La besogne est d'abord confiée à la VETCHEKA, la commission extraordinaire pan russe auprès des commissaires du peuple. Dirigée par Dzerjinski, elle traque opposants, saboteurs et contre révolutionnaire dans une guerre civile acharnée et sanglante. C'est elle qui s'occupe des premiers camps. Elle expédie systématiquement dans les camps de concentration les suspects , sans verdict légal. Cette pratique est légalisée par le comité central de la RSFSR ou république socialiste fédérative soviétique de Russie le 17 avril 1919. Dans cet ensemble de camps, la " tchéka " (vetcheka) a organisé le 3 avril 1919 le GOULPT (direction des camps de travail forcé) un instrument de répression afin d'assurer l'autosuffisance du camp. Dans la foulée , le 15 avril 1919 , le gouvernement soviétique avait défini les " camps de travail coercitif " où l'on est détenu par voie de justice dans le cadre d'une réhabilitation par le travail. Enfin les camps de concentration regroupent les individus socialement dangereux adversaires du régime. Ces camps de la tchéka ont compté entre 100 000 et 150 000 hommes, mal nourris et travaillant à l'autosuffisance du camp. On peut y voir l'origine de la distinction entre politiques et droits communs.

En 1922 est crée le GPOU, direction politique d'état dirigé par Dzerjinski qui poursuit les activités de la tchéka. En 1923 ce service devient l'ogpou, direction politique de l'état unifié de l'URSS. II assure les fonctions de services secrets et de lutte contre le banditisme.

D'autre part, cet organisme gère une partie du système de détention avec le NKVD ou commissariat du peuple à l'intérieur. Cela est du au refus ces organisations d'intégrer leur système de camps à celui du commissariat du peuple à la justice.

Jusqu'en 1919, les îles Solovki demeure le seul camp de concentration russe avec des ramifications sur le continent comme Petchora ou SOLIKAMLAG. En 1922, sur proposition du gouvernement russe d'installer un camp dans les Solovki, le GPOU créé une direction des camps du Nord à destination spéciale ou SLON. Le 1e` juillet 1923 arrivent 150 détenus politiques au Solovki où sont déjà enfermés 4000 prisonniers de droit commun. La mixité entre détenus politiques et détenus de droit commun, propre aux goulags est de fait instituée. Cet archipel était le siège de monastères anciens, vite fermés par les tchékistes Son administration est assurée par ces derniers. Des prisonniers de droit commun et d'anciens militaires de l'armée rouge assurent la garde. Ils jouissent de privilèges importants et se révèlent être de petits chefs sadiques et efficaces. Les politiques exempts de travail seront privilégiés jusqu'au milieu des années 20. Dès lors les conditions des prisonniers empireront: exécutions massives, travail forcé, famines, mauvais soins médicaux. Là, le régime découvre les bienfaits d'un travail forcé considéré comme rentable, économiquement et politiquement.

Le portrait du goulag classique prend forme. On y expérimente la validité du mouchardage afin de casser les groupes. Le fait d'accorder du pouvoir à un droit commun sur ses codétenus instaure une terreur et une tension permanentes entre prisonniers. Le dosage des rations alimentaires entretient la faim. Avec ces trois outils détruire une résistance physique ou morale devient une simple affaire de temps. De plus, on dissuade les éventuelles tentatives d'évasion, en rouant de coups jusqu'à la mort les évadés repris L'exposition de leur corps mutilé dure plusieurs jours. En outre, pour constituer des groupes de main d'oeuvre suffisants, les peines sont prolongées les libérations commuées en déportations. Ainsi s'accumulent des méthodes efficaces de répression. L'un des principes des camps de concentration et du goulag est mis en place. La faim établit son règne conjointement à la terreur, les deux se confortent mutuellement. Les détenus sont rétribués avec un minimum de nourriture, suffisant pour ne pas mourir. Ces rations peuvent être revues à la hausse ou la baisse selon l'attitude du prisonnier. En effet la ration est évaluée selon la quantité de travail fournie par rapport à la norme . La faim devient un moyen de briser les hommes, et un puissant moyen de manipulation .Queues bouchées de pain servent à asservir , en complément de rations insuffisantes . C'est un premier pas dans le processus. La violence et le mouchardage rompent les liens entre les détenus, ils sont exploités par le travail forcé. Les gardiens disposent à leur gré de la force et de la nourriture Toute révolte semble donc vouée à l'échec. A partir de 1927 le complexe des Solovkï établit des camps sur le même modèle dans les régions d'Archangelsk et en Carelie. Les Solovki regroupent alors 15 000 détenus.

Devant la hausse du nombre de détenus, l'idée de les employer à des tâches productives apparaît en 1925. Un vice président du conseil de l'économie nationale conseille à Dzerjinski de créer des colonies de peuplement dans quatre zones. Cette idée s'accorde mal avec la NEP en cours. Toutefois les camps du SLON basés à Petchora assurent dès leur création en 1926 27 un programme de coupes de bois. En 1929 le " grand tournant " marque une rupture politique, sociale, économique majeure. Une commission du bureau politique estime " rationnel le remplacement progressif des lieux de privation de liberté existant à ce jour par des camps de concentration ". Le GPOU est conseillée, en raison de son expérience en la matière. La liquidation des Koulaks en vu de lancer la collectivisation stimule le développement du goulag. Le système de camps s'étend tandis que 1 800 000 paysans sont chassés au Kazakhstan et en Sibérie. Là 1 320 000 personnes sont affectées à l'exploitation de la forêt. La terreur de masse et l'exploitation du travail forcé à des fins répressives et économiques sont définitivement liées. Cette expansion confiée au GPOU à partir de 1929 doit assurer le développement de la vie économique des régions périphériques les moins accessibles. Ainsi le 7 avril 1930, est crée au sein du GPOU une direction générale des camps ou Goulag, abréviation promise à un bel avenir. Les camps de concentration sont alors nommés "camps de redressement par le travail " ou ITL et cohabitent avec les camps du NKVD, du commissariat du peuple à la justice de la RSFSR. Dès lors les objectifs du goulag sont fixés. Les fonctions d'un camp de concentration au sens moderne du terme sont donc établies: instrument de terreur de masse, et de travail forcé à fin économique et répressive. En outre le goulag sert à assurer le transport de la main d'oeuvre en quantité voulue à n'importe quel endroit du territoire russe, à éliminer certaines catégories de détenus, à créer des complexes de camps.

Le goulag s'étend progressivement le long d'une chaîne du froid. II suit aussi les grands travaux staliniens. Les Solovski projetées sur le continent à Kem se sont ensuite diffusées en Carélie, grâce aux coupes de bois et aux chantiers pour les voies de communications. Puis le complexe s'étend vers Mourmansk, Arkhangelsk et parvient à Vologda. Là se déploya le premier grand chantier stalinien : le canal baltique mer blanche construit de 1931 à 1933. Parallèlement, à partir du carrefour de Kotlas fondé en 1930 par l'OGPOU les coupes de bois, les mines et les constructions de voies ferrées avancèrent le long de la voie du Nord, vers Oust vym suivi d'Oukh vym, Oukhta, Petchora. Des camps plus ou moins permanents construits à la suite constituèrent cette ligne. Des ramifications se déployèrent en direction du nord de l'Oural, vers Solikamsk et vers l'Arctique. Salikhand atteint, on se dirigea vers Norilsk. Les zeks assurèrent la, l'essentiel de la mise en valeur.

A la veille de la seconde guerre mondiale, la géographie du goulag est à peu près fixée. La Sibérie, le Dalstroi et le Kazakhstan constituent les trois ensembles massifs, synonyme de goulag. Le Dalstroi s'étend sur une superficie supérieure à deux millions de kilomètres carrés qui va d'est en ouest , du Kamtchamka à la frontière orientale de la Yakoutie , de la mer d'Okhotsk à l'océan arctique. Cette étendue abrite la célèbre Kolyma dont les camps fonctionnèrent de 1932 à 1952, où l'on exploitait des mines d'or. Vu l'inexistence de voies terrestres, l'accès est maritime. Le Bamlag au sud de l'extrême Orient se charge de la construction du BAM : Baikal, Amour. Cette voie ferrée sera officiellement achevée en 1984 et a concentré jusqu'à 260 000 détenus soit 15% de l'effectif global du goulag. La Sibérie orientale et occidentale concentrent mines et chantiers de voies ferrées , illusoires pour certaines.

Au Kazakhstan le Karlag est destiné à l'exploitation du charbon de Karaganda, le Steplag des mines de cuivre. Karaganda est mis en place en 1932. Ces quatre ensembles s'illustrent par des conditions de vie extrêmes. Les rigueurs du climat sibérien ou continentale et la présence de richesses naturelles fournissent un terrain propice aux objectifs du goulag. Les richesses naturelles offrent une opportunité pour le travail forcé pour leur exploitation. La mécanisation de ces zones est retardée en vue d'exploiter les forces des zeks (qu'on extermine en fonction des instructions). Le climat décime les prisonniers épuisés par le travail et affamés, qui peut se targuer de survivre longtemps au 60° de la Kolyma avec une ration minable et un habillement inadapté ? Par conséquent le manque de main d'oeuvre, la nécessité de son renouvellement fournissent le prétexte à l'activité répressive du régime. Le destin des opposants est assuré. Outre la dialectique de la terreur et de l'efficacité économique, la situation des camps offre deux avantages :

Fonction économique et peuplement

Le peuplement de l'archipel est assuré par des vagues organisées d'immigration. L'estimation de leur nombre est rendu difficile par l'ouverture partielle des archives soviétiques. De plus la manipulation des chiffres était chose courante. Les responsables des camps se trouvaient face à un dilemme, tantôt il fallait sous estimer le nombre de détenus pour masquer les mauvais résultats économiques (on était alors accusé de trop bien traiter les détenus), tantôt on cachait la mortalité (on évitait l'accusation de maltraité la main d'oeuvre)... D'où des chiffres plus ou moins fiables. Cependant la chronologie des immigration est bien établie. De 1918 à 1921, ce sont surtout des bourgeois et des opposants qu'on déporte. A partir de 1927, de nombreux techniciens seront condamnés pour sabotage après la libéralisation économique de la NEP . Le goulag est alors définis à petite échelle dans ses grandes lignes. Dés l'origine, il mêle les deux catégories de prisonniers qui le peuplent: les détenus politiques et les droits communs. La troisième vague concerne la dékoulakisation de 1929 à 1932 afin de mettre en place la collectivisation les koulaks, considérés comme des paysans riches , sont expropriés et déportés. Cette déportation a touché 1 800 000 personnes qui ont été envoyées en Sibérie ou au Kazakhstan .une proportion importante est morte suite à un transport mal organisé. Toute fois 1 300 000 personnes travailleront à l'exploitation des forêts. En 1936 des populations limitrophes non russes sont déportées à l'intérieur du pays , sont chassées des terres où elle vivaient depuis des siècles . Cela concerne des peuples variés: des populations finnoises aux populations grecques de la mer noire. Ces déportations sont suivies des grandes purges en 1937 1938 qui touchent principalement des fonctionnaires attachés au régime. Ces déportations massives se poursuivent au cours de la seconde guerre mondiale. Elles concernent dès lors des peuples entiers. En 1941 les Allemands de la Volga sont déportés. Enfin Staline fait déporter en 1943 les Kalmouks, les Tchétchènes, les Ingouches, les Balkares avec des Kurdes, Grecs de Caucase et des Karachaïs. En 1944 c'est au tour des Tatars de Crimée De nombreux représentants de ces peuples seront envoyer dans l'archipel. Entre 1944 et 1946 les soldats soviétiques capturés par les Allemands seront à leur retour déportés ! Ces déplacements sont effectués sur des critères raciaux et permettent une " colonisation > russe car suite à ce nettoyage ethnique ces déportés constitueront des peuplements spéciaux . soumis à l'autorité du NKVD, ils vivent dans des conditions très difficiles. Ils forment une main d'oeuvre bon marché, privé de droits. Mais ils mènent une vie plus supportable, car ils peuvent se marier, avoir des enfants et ne sont pas soumis à l'arbitraire des camps. Cette politique permet la russification de certaines régions et alimente les camps.

En dehors de ces déplacement massifs de population, tout un arsenal législatif de plus en plus répressif autorisera des arrestations massives. Elles alimenteront le goulag tant en prisonniers politiques qu'en droits communs. La légalité et l'éthique sont soumises aux intérêts de la lutte de classe du prolétariat. Or son organe représentatif étant le parti communiste, il revient à ce dernier de définir la légalité selon les impératifs du moment Même légalement aucune action ne peut être tentée contre ces mesures. Les prisonniers politique sont victimes de la terreur politique. Ils n'exercent pas forcement une activité contre révolutionnaire. Pour la RSFSR, ils sont condamné en vertu de l'article 58 du code pénal Celui ci punit tout crime contre révolutionnaire. Au contraire, les prisonniers de droit commun sont condamnés au vu d'articles variables. Ils peuvent être de véritables criminels et condamnés comme tels ou victimes de loi scélérates. Comme la loi du 7 août 1932 qui entre dans le cadre de la dékoulakisation. Celle ci prévoie la peine de mort pour quiconque est convaincu de pillage de la propriété kolkhozienne ou coopérative. Cela correspond à des chapardages de nourriture. Son application est souvent réduite à 10 ans de détention. De nombreuses lois de ce types seront appliquées dans la période stalinienne. Elles ont permis l'arrestation de plusieurs millions de personnes. Ainsi la population du goulag atteint 2.5 millions de détenus en 1950. Ces arrestations ont lieu dans un climat de terreur généralisé, où la dénonciation devient un " sport national > , activement encouragé par l'Etat. l'Etat soviétique est l'instigateur et le bénéficiaire, il parvient ainsi à ses fins en éliminant toute opposition. Dans ce contexte une main d'oeuvre nombreuse et gratuite est mise à la disposition de la GPOU. En 1934 cet organisme est intégré au NKVD, étendu à toute l'URSS. La même année, le goulag se voit confier la gestion des prisons. L'emprise du système se renforce tandis que son autorité se diversifie. La main d'oeuvre ainsi constitué a été décisive dans la réalisation des grands chantiers et l'exploitation des régions pionnières, dans la recherche scientifique et dans l'effort de guerre. Staline appréciait beaucoup les grands chantiers spectaculaires La plupart ont été menés par une filiale du GPOU puis du NKVD : hydroproïekt

Les principaux chantiers ont concerné le canal Baltique mer blanche, d'une longueur de 226 km, 250 000 zeks l'ont construit de 1931 à 1933. Ils ne disposaient que de moyens limités : pelles , pioches, brouettes et explosifs. Ce chantier fut le seul à faire l'objet d'une propagande intense. II se révéla inutilisable car le GPOU, pour tenir les délai le fit creuser à une profondeur inférieure aux plans des ingénieurs. Au prix de dizaines de milliers de morts, il inaugura la tradition nationale de la toufta ou truffes. Le travail bâclé que I ' on enregistre en tant que vrai travail . Ces travaux ont servi au départ à des fins de propagande, Gorki chantait la rééducation par le travail de ceux qui le construisait. lis ont permis une organisation plus efficace du goulag en matière économique. Les autres chantiers se révèleront plus efficaces. Le percement du canal Moscou Volga mobilise 500 000 prisonniers de 1932 à 1937. Quant au canal Volga Don commencé à la fin des années 30, il sera achevé en 1952.

La seconde dimension économique du goulag a été la mise en valeur de région. Les zeks ont bâtis de nombreuses voies de communications en Russie du Nord et dans l'Oural. La plus longue est la voie ferrée Kotlas Vorkouta (1300 Km). Ils ont assuré le doublement du transsibérien sur 4000 Km à l'est d'Irkoutsk, grâce aux camps de Baikal Amour (BAMLAG). Les activités de production ont porté sur l'énergie, les mines et l'exploitation du bois. Le charbon de Vorkouta, de Karaganda, les non ferreux de Norilsk ,l'or de la Kolyma .... malgré leur production brute tiennent plus du gaspillage que de la rentabilité. La mécanisation ou une meilleure alimentation des zeks aurait permis de meilleurs rendements. Par exemple en 1936, 1937 et 1938 le goulag a produit pour 3,04 milliards de roubles ; alors que le NKVD en avait planifié pour 8,5 milliards. La répression que doit exercer le goulag, s'oppose à l'exploitation par le travail forcé. En effet, l'élimination d'opposants ne peut être menée de pair avec leur exploitation. De plus, le goulag se cantonne dans des activités de production primaire, L'outillage est archaïque et est utilisé par des prisonniers affamés. lis se ménageront afin de tenter de survivre. Cette inefficacité économique se confirme au cours de la deuxième guerre mondiale. Une partie des détenus est transférée au front tandis que des femmes les remplacent. Le goulag a assuré la production de charbon. Toutefois la production en armement, les coupes du bois du goulag ont été faibles. Seuls quelques dizaines de milliers de détenus ont travaillé dans la sidérurgie. Aucun n'a été affecté à la production de canons, de tanks, d'avions... II n'en est pas de même dans les charachkas (bureau spécial de construction). Ces instituts de recherche secrets rassemblent chercheurs et ingénieurs pour diverses raisons. L' OGPOU puis le NKVD exploitent selon le même système leurs compétences à des fins militaires et policières, dans le plus grand secret. Durant ces différentes phases le sort des zeks évoluait, en pire le plus souvent, au gré des périodes de répression, de la guerre, et des évolutions politiques du régime. Pourtant leur vie présente les mêmes constantes, destinées à les exploiter et à les écraser.

La vie du zek et le démantèlement du goulag

Après avoir été arrêté, jugé et condamné, le futur zek est prévenu au dernier moment de la destination. Le transfert peut s'effectuer de différentes manières. Les voyages en train offrent deux possibilités: les transports en wagon à bestiaux ou en wagon stolypines. Dans le premier cas, on transporte en une seule fois les détenus sur plusieurs milliers de kilomètres. Les détenus sont informés durant tout le voyage avant d'arriver au camps ou d'être transférés dans une cale de navire ou de péniche. Dans le second, les wagons à compartiments sont attachés à des convois ordinaire, avant d'être répartis dans des prisons de transit. Ce mode de transport manque de tout confort. Les détenus sont entassés dans des compartiments ou des wagons trop étroits. L'hygiène est déplorable, on ne peut se laver. Ainsi les prisonniers s'affaiblissent physiquement avant leur arrivée, d'autant plus qu'ils souffrent constamment de la soif. En effet la ration dite " sèche " est composée de pain et de hareng fumé, alors que l'approvisionnement en eau est souvent réduit au minimum. Les convois à pied sont rares. Les transports en camions sont réservés à de courtes distances. Les transports fluviaux et maritimes convoient sur de longues distances. Les prisonniers sont allongés par manque de place sur des bats flancs étroits dans des cales mal aérées. Tout est fait pour isoler ces convois du reste de la population.

Des liens, parfois solides, s'établissent entre les prisonniers, dont les plus fragiles meurent vite suite aux mauvaises conditions. Ils découvrent en outre la loi des truands. Ceux ci pillent impunément les nouveaux, terrorisent, ou jouent leur vie aux cartes puisque personne ne voit rien. L'omerta est une denrée russe appréciée. Leur rôle est central dans la vie des zeks. La violence entre les prisonniers s'ajoute à l'angoisse de l'avenir, à la terreur que font régner les gardiens et aux préoccupations immédiates (la crasse, la faim, la soif... ). Le voyage éprouve les détenus physiquement et mentalement. Les condamnations des prisonniers sont généralement longues, 10, 20 ou 25 ans. On remarque une grande différence entre les ITL (camps de rééducation par le travail) et les camps spéciaux. Ces derniers ont une dune d'existence courte entre 1948 et 1954. Ils ne concentraient que des prisonniers politiques astreints à des travaux de force dans un but manifeste d'élimination. La durée d'existence des ITL s'étend de 1930 à 1959. Ils mêlent prisonniers de droit commun et détenus politiques. Or les truands qui forment une confrérie solidaire à l'origine, s'arrangent pour en faire le moins possible et constituent un fléau dans les baraquements collectifs. Arrivé dans les camps, le prisonnier est affecté à une équipe ou brigade de travail. Celle ci est dirigée par un chef qui attribut à chacun les taches à accomplir. Une brigade est responsable collectivement de ses résultats. La ration de chaque membre est calculée proportionnellement à ces derniers. La brigade fait partie d'un ensemble pus vaste dirigé par un chef de chantier libre ou détenu. Dans les ITL les prisonniers peuvent travailler selon leur spécialité. Les journées de travail sont de 11 heures, sans jours de congés. Cependant des restrictions concernent les détenus politiques que l'administration pénitentiaire contourne en raison du manque de spécialistes. Les camps spéciaux adoptent une attitude identique. Le complexe administratif du camp emploie des détenus à toutes sortes de postes : infirmiers, cuisiniers... les conditions de vie sont avantageuses. Grâce au pouvoir exercé sur leur codétenus ils améliorent facilement leur ordinaire (ration double...). Certaines taches stratégiques ne sont jamais confiées aux détenus politique, comme celle de répartiteur ou de chef cuisinier qui distribuaient la main d'oeuvre et la nourriture. On tente de soumettre les prisonniers politiques au travaux les plus durs. Ces travaux accélèrent leur élimination. Le souci d'exploiter au mieux la main d'oeuvre a amené au milieu des années trente la répartition des détenus en quatre catégories

A : apte à un travail pénible
B : apte à un travail moyen
C : apte à un travail léger
D :invalides et affaiblis

Chacune de ces catégories doit recevoir une ration précise. II n'en est rien dans la réalité. La plupart des rations alimentaires font référence à un plat chaud. Comme le remarque Varlam Chalamov, dans Récits de la Kolyma " les repas chauds ne sont pas quantifiables, leur valeur nutritive dépend de mille facteurs quotidiens : de l'honnêteté du cuisinier, de son état de rassasiement et de son application au travail, car un cuisinier tire au flanc est aidé par des " trimeurs " à qui il donne des parts supplémentaires ; de l'efficacité des contrôles, du rassasiement et de l'honnêteté des hommes d'escorte, de la présence ou non de truands. Enfin et c'est là l'effet du hasard, de la manière dont le préposé à la distribution de soupe... manie la louche, qui peut réduire à néant les compétences d'un cuisinier ". la ration repose sur la quantité de pain, que reçoit le zek, soit un minimum de 450 gr pour une journée. De plus les autorités soviétiques ont mis au point un dosage pointilleux de la faim. Les rations ont été réduites: peu de viandes, peu de sucre, peu de pâtes. Or le reste de la ration est touché par la gradation alimentaire. Les détenus sont alimentés en fonction de leur rendement au travail, mais celui ci ce base sur l'interprétation de normes intenables. Ce système, made in Solovki et étendu au début des années 30 aux camps de l'URSS, permet de varié à volonté les quantités de pain. Au contraire les déportés du bagne tsariste bénéficiaient d'une ration de base, stable, avec un minimum, identique pour tous, et supérieur en quantité à celle des camps staliniens. On trouve là une des causes de la mortalité élevée des camps. Face au manque de nourriture les zeks adoptèrent des attitudes différentes. La " solution " envisagée obéit à la condition physique et aux capacités de résistance de l'individu. Tout d'abord, on peut travailler de toutes ses forces pour mériter un ticket supplémentaire pour un plat chaud, une cuillérée de choux en plus dans un camp de rééducation par le travail. A force l'épuisement gagne le zek qui travaille au delà de ses possibilités. On meurt alors d'une insuffisance cardiaque au travail ou à l'hôpital. ou bien le zek travaille mais s'épuise. II ne remplit pas la norme donc sa ration diminue. C'est pourquoi on s'affaiblit de plus en plus... le cercle vicieux s'enclenche. Puis c'est " la diarrhée des affamés " caractérisée par une perte de sang dans les selles. On en meurt. Dans ces conditions, la meilleure solution consiste à travailler juste ce qu'il faut pour recevoir la ration minimale. Cet affaiblissement des organismes se répercute au niveau social. Les truands dans les ITL peuvent racketter les autres détenus. Ceci augmente les tensions internes exacerbées par le mouchardage et par ces mêmes truands. Pourtant la gradation alimentaire peut être contournée. On demeure affamé mais on ne meurt pas de faim. Pour cela l'art de rédiger un rapport incombe au chef de brigade. Celui ci sert à calculer la ration de l'équipe du travail en fonction du pourcentage de la norme accomplie. En manipulant sur les descriptions, les estimations, le chef d'équipe à qui incombe le rapport peut nourrir son équipe (même si elle ne fait pas grand chose). Pour cela le chef de brigade doit faire preuve de diplomatie avec le répartiteur, le chef de chantier... Les colis et les mandats postaux sont illimités dans les ITL (mais en nombre restreint dans les camps spéciaux). lis aident ceux qui le peuvent à améliorer leur ordinaire et leur tenue (chaussures et vêtements). Malgré cela, des détenus sont peu à peu atteints par les carences. Ces carences en vitamines se manifestent par la pellagre. Cette maladie due à un manque de vitamine PP entraîne des troubles digestifs, nerveux et des lésions cutanées. Dans les camps ces troubles nerveux aboutissent à la démence. Devenus fous, ceux qui sont touchés sont isolés des autres dans des conditions atroces. Enfin il ne faut pas oublier la dysenterie et la dermatite, une affection inflammatoire de la peau ; on a les trois D des camps : dysenterie, démence, dermatite. La qualité de la nourriture ne doit pas faire illusion, quant à l'hygiène, elle est déplorable. Les détenus ne sont pas autorisés à se laver les dents. Inutile de parler des douches. Dans ces conditions, la mortalité se révèle importante. Pour lutter contre, deux types d'hôpitaux au hasard des camps, l'un est un véritable mouroir, l'autre constitue une vrai unité de soin où l'on tente de soigner efficacement les zeks. Un séjour en hôpital est alors un moyen de se reposer et de bénéficier d'une meilleure nourriture.

Aucun confort matériel ne compense la faim du zek. Les vêtements sont de mauvaise qualité. Le caban des zeks est une veste courte non fourrée mais bourrée de coton. Les détenus la mettent jusqu'à l'usure complète. Leurs chaussures sont fabriquées avec de vieux pneus de tracteur et des semelles de bois. Ce sont les tchétézis. Cet habillement est insuffisant pour lutter contre le froid. II hâte l'épuisement fatal : une " flammèche "ou " crevard " est un individu aux extrêmes limites de l'épuisement qui meurt au bout de deux ou trois jours sans nourriture. Le logement consiste généralement en une grande baraque divisée en deux sections. Celles ci sont équipées de bats flancs à deux niveau, de type couchette ou d'un seul tenant à deux niveaux. On ne dispose pour dormir que d'une superficie comprise entre 0,8 et 1,3 m? selon la section. Une baraque peut abriter jusqu'à 184 hommes. Ce bâtiment est mal chauffé et mal éclairé : une ampoule et un poêle pour chaque section.

Dans les IT,L l'ambiante est loin d'être communautaire. Les truands se déchirent entre eux, avec " la guerre des chiennes ". Celle ci oppose les tenants du vieux code d'honneur à ceux qui ont collaboré avec les autorités c'est à dire combattu pendant la seconde guerre mondiale. Les truands disposent à leur gré des détenus, de leurs effets et de leurs rations. Contre ces derniers, une opposition physique suffit. Face aux mouchards le meurtre est la seule solution, ce qui est chose courante. Le monde des zeks est un univers de tension, où l'on se bat face à la crasse, à la faim, au froid et à la violence. Les gardes qu' encadrent les zeks sont mieux logés et mieux nourris. Ils disposent d'un droit de vie et de mort sur tous les détenus. N'entend on pas dans les colonnes de zeks " un pas à gauche, un pas à droite, je fais feu ". Ils contribuent largement à la terreur quotidienne et s'acoquinent même avec les truands. Ce sont en général de jeunes paysans engagés pour trois ans qui ne veulent plus vivre dans les conditions de la campagne soviétique. lis constituent le VOKHR ou garde intérieure de la république.

Dans ce climat d'absurdité et de violence, le zek essaie quand même de résister, survivre, et de tirer son épingle du jeu. Le sabotage économique permanent déprécie la valeur de la production. Le goulag est largement déficitaire. A partir des années 1940, les nouveaux prisonniers politiques, sont souvent des vétérans de la seconde guerre mondiale, déterminés à ne pas se laisser faire. Des grèves de la faim si elles sont acharnées et suivies peuvent améliorer le sort d'un détenu. Plus une grève de la faim dure, plus le dossier du détenu remonte les échelons de l'Administration, plus celui ci a de chance de tomber dans les mains d'un bureaucrate important. Des grèves classiques éclatent parfois. Surtout après le début de la guerre. Elles sont férocement réprimées. En 1946, 5000 détenus d'un camp du grand Nord sont gazés pour mettre fin au mouvement. Mais les grèves de 1953 1955 seront les plus efficaces.

Elles s'inscrivent dans la dislocation du goulag classique. Les dirigeants de l'URSS savent pertinemment que son inefficacité économique nuit au développement du pays. La mort de Staline en 1953 enclenche le processus. Beria, qui dirige le ministère fusionné de l'intérieur et de la sécurité de l'état, amnistie 1 million de détenus sur 2,5 millions. Ce ne sont que des droits communs. Or l'absence d'amnistie pour les politiques, entraîne des grèves, de juin 1953 à juin 1954, à Vorkouta, Norilsk, Kengir, Taichet, Ekibastouze, ... suite aux dénonciation des crimes de Beria. Les revendications portent sur la réduction de la journée de travail à 10 heures, l'amélioration de la nourriture, des vêtements et du logement. Les grévistes réclament l'extension de l'amnistie aux politiques, la disparition du mouchardage et une humanisation de l'administration des camps. Dans un premier temps, Moscou, semble obtempérer. Puis les troupes du ministère de l'intérieur réprimeront le mouvement. Les mesures accordées seront abrogées dans les années 70. La déstalinisation lancée, libérera quelques prisonniers politique en 1955, accusés d'avoir collaboré avec les Allemands. Le goulag s'effrite. Cette institution qui réprime et exploite le travail forcé s'oppose au développement de l'économie. Le travail forcé demandé aux zeks ne peut être adapté à la mécanisation industrielle. L'ère de l'aéronautique, de la chimie et des constructions mécaniques, ne s'accommode pas de travailleurs forcés derrière des barbelés. Le goulag perd donc sa fonction économique. II conserve encore avec succès son rôle pénitentiaire, contre une minorité de dissidents.

En 1970, le gouvernement soviétique prend des mesures très répressives à l'égard des régimes pénitentiaires, astreints aux travaux correctifs. Pourtant elle n'empêche pas l'émergence d'une dissidence issue ce celle des camps ( Soljenitsyne, Chalamov, Guinzbourg...) qui éclate à partir de 1968. Désormais, les " hôpitaux psychiatriques " seront chargés de faire face à ces vagues d'oppositions. Cette inefficacité économique était justifiée par des motifs politiques. La terreur stalinienne imposait ainsi un pouvoir despotique, incontesté. A force de terreur et de propagande, la plupart des citoyens soviétiques obtempérait ou adhérait aux décisions. Ainsi ce mécanisme mental s'est ancré et s'est transmis.

L'estimation du nombre de victimes du goulag est difficile. L'ouverture des archives soviétique est encore partielle. Les estimations excessives des survivants et la manipulation permanente des statistiques faussent toute évaluation. Le système du goulag a abandonné la répression de masse pour s'attaquer à une dissidence minoritaire. Son rôle économique s'est modifié à travers le système pénitentiaire. Durant les années 70 80, les détenus assuraient des fonctions d'ouvriers qualifiés ou non. Au final, le goulag et son cortège de terreur ont enraciné profondément, le système totalitaire de Staline. Son empreinte marque toujours la mémoire collective et n'a en rien atténué la culture de violence propre à la Russie. Peut être s'est il appuyé sur ce fond pour se développer ?

La passivité des opinions occidentales était tributaire du contexte des années trente, puis de la guerre froide. Dés les années trente, l'information était disponible. L'auréole de la victoire de 1945 à voilé ce sombre aspect. Seuls les coups de boutoirs dé Soljenitsyne, Guinzbourg et d'autres ont brisé la glace, lorsque le pire était passé.

1) Alexandre Soljenitsyne: (Archipel du Goulag tome il p15, citation des oeuvres complètes de Lénine tome 50 p133 144, 5ème édition.

 

BIBLIOGRAPHIE

Jacques Rossi, Le Manuel du Goulag, Cherche Midi, 1998
Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du Goulag, Seuil, 1974
Nicolas Werth, le livre noir du communisme, Robert Laffont, 1998
Jean Jacques Marie, Le Goulag, Puf (Que sais je), 1999

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